La scène japonaise ne s’embarrasse d’aucun
préjugé en matière d’étiquette musicale. De par sa
situation géographique, mais aussi à cause de son legs
historique fondé à la fois sur la grandeur et la
frustation, le Japon est une formidable machine à
brasser les influences, à digérer parfaitement les
gimmicks de la musique occidentale, pour les recracher
avec une jouissive abnégation, sous formes de combos
hystériques ( scène grind/gore/death ), ou tout
simplement à travers les dons de musiciens hyper
talentueux (l’ensemble de la scène noise/electro). On ne
reviendra pas sur le cas Sigh, unique puisqu’ils
participérent aux début de la scène black (signés sur le
label d’Euronymous, Deathlike Silence ) et auteurs
dernièrement d’un formidable album de post-black (
Imaginary Sonicscape ) qui illustre parfaitement la
capacité intégrante et innovante de la musique japonaise
actuelle. La culture japonaise veut que leurs musiciens
se soucient peu d’intégrité musicale, au sens où
certains métalleux peuvent l’entendre (métalleux ou tout
autre tribus de mélomanes prosélytes ). L’hybridation
n’est pas non plus un but en soi, bien heureusement :
c’est un moyen qui sert simplement à faire passer des
émotions inédites, des expériences musicales que peu
d’artistes osent dans notre vieille Europe. Quant à la
fureur, elle ne prend pas forcément la voie du black
(malgré de formidables groupes de raw black comme
Infernal Necromancy ou Funeral Elegy ) : la démo qui
nous intéresse a été concoctée par Mochipet, une icône
de la scène underground jap, qui officie avant tout dans
le remix : hip hop, electro, sa spécialité est de
concasser tous les sons qui lui passent dans les mains
pour créer des morceaux déstructurés, caressant les
dérives les plus extrèmes de la musique électronique :
electro-clash, gabba, speedcore… voici donc un de ses
multiples projets parallèles, Cutti Sadda, autoproclamé
« experimental jiggy death ». Une appellation prise de
tête ? Pas du tout. Il suffit d’aller sur son site pour
voir que Mochipet ne se prend pas au sérieux pour un
sou. Sa musique incorpore même une bonne part de second
degré. Alors, quid ? Un pur moment de froide brutalité !
Imaginez un son typiquement dancehall, voir garage,
c'est-à-dire bien sec, bien minimaliste, avec une
rythmique imparable, sinon meurtrière. Et puis la voix
death débarque, évoquant un Mortician de derrière les
fagots…et bizarrement, le mélange est détonnant ! Le
deuxième morceau est sans doute le meilleur : introduit
par un beat angoissé, accordant viscéralement son
obédience au hip hop le plus hardcore (je pense à Mobb
Deep ou à Necro), la voix de Cuti vient poser un phrasé
traumatique ponctué de cris étranglés… …pour reprendre
les termes de son interview, « est-ce que s’il neigeait
en Jamaïque Lee « Scratch » Perry aurait fait parti de
Dismember ? » Résolument, oui. Le troisième morceau, «
Dancehall of Death » peut se voir comme un duel entre un
son électronique minimaliste propre aux sound-systems
londoniens et une partie death/grind qui ne cesse de la
parasiter (à moins que ce ne soit l’inverse ?) …évoquons
également le dernier morceau, complètement déjanté et
malsain, qui commence comme une parodie du « Roots » de
Sepultura pour finir dans une frénésie noise comme seuls
les japonais peuvent en vomir, vocoders saturés à
l’appui. A l’instar du dernier (et excellent) album
d’Otto Von Schirach, qui opère d’insanes accouplements
entre l’electronica la plus destructurée et le grind le
plus irrévérencieux, Mochipet affère avec ce mini-album
que l’électro n’est pas un but en soi, mais bien un
outil protéiforme capable d’intégrer des formes
musicales qui lui sont à priori foncièrement opposées. A
condition, bien sûr, d’être suffisamment ouvert d’esprit
pour accepter de tels métissages : nous sommes en effets
bien loin des timides bidouilles électroniques qui
enluminent maladroitement certains albums de death ou de
post-black. Mochipet est avant tout un D.J, et en tant
que tel il nous offre une sorte de set halluciné,
capable d’enflammer les dancefloors tout en titillant
fortement la glandes pinéale des vieux trasheux que nous
sommes. ( précisons que les parties métal ne sont pas
des samples et sont jouées par Mochipet, guitariste
depuis son plus jeune âge ). Car en somme, si la
relève du rock’n’roll existe, peut-être qu’elle est dans
ce genre de projet décomplexé, voué à la détestation de
certains comme aux débordements les plus extatiques (les
prestations live de Mochipet semblent être des grands
moments de n’importe nawak). Musique improbable,
comme dirait l’un de mes confrères, oui mais
fondamentalement ludique et efficace. On jurerait que
dans un monde meilleur, ce «Pentagram All Up In My
Bling-Bling » serait classé parmi les meilleures ventes
mondiales, tant il est à la fois brutalement dansant et
chaotiquement sombre.
Note
Générale : 7,5 / 10 | Production : 5 / 6 |
Cover : 5 / 6 | Composition : 4 / 6
|